"Une mise en scène trompeuse" : les chariots mystère, des réductions pas aussi fortes qu'annoncé

par N.K | Reportage Sept à Huit Clément Fouquet
Publié le 2 avril 2024 à 12h16

Source : TF1 Info

Le concept des chariots mystères, né en France, est à la mode depuis quelques mois dans les supermarchés.
L'acheteur ne découvre le contenu, des invendus avec une promesse de prix cassés, qu'après avoir payé.
Mais les réductions ne sont pas si avantageuses que cela, comme le montre cette enquête de "Sept à Huit".

C'est une opération à la mode que l'hypermarché dans lequel se rend "Sept à Huit" dans le reportage ci-dessus souhaite promouvoir sur les réseaux sociaux, avant de la lancer officiellement, et en grande pompe. L'enseigne va proposer à ses clients des caddies mystères, soit des chariots entièrement recouverts de plastique noir. Les clients savent ce qu'ils payent, mais pas ce qu'ils achètent. 

Pour les attirer, le supermarché mise sur des prix cassés trois fois moins chers que le prix de vente initial. Derrière le rideau du magasin, les clients attendent impatiemment. Et ils sont pleins d'espoir. Une femme souhaite avoir "un petit jouet pour [ses] petits bouts", quand un autre client table sur "une trottinette, des oreillettes, un téléphone", sans trop y croire non plus.  

Des chariots à plusieurs milliers d'euros

Trente chariots sont mis en vente, de 50 à 270 euros. Ils ne sont ni échangés, ni remboursés. "Je crois qu'on est tous comme ça, on aime les surprises", lance Victoria, responsable d'une onglerie, qui a acheté un chariot mystère affiché à 331,23 euros et qui contient des produits d'une valeur initiale annoncée de 1003,73 euros. 

Ce caddie ne contient aucune denrée alimentaire. À l'intérieur, on y trouve une peluche, une batterie externe, des câbles, un grand verre en forme de pinte de bière... ou encore une machine à café, pour son plus grand plaisir. "Ça fait bien quatre ou cinq ans qu'on en cherche une. On trouve ça cher, et à moins de 300 euros, c'est cool", se réjouit-elle. Comme dans une pochette surprise, les petites déceptions sont vite oubliées face à l'excitation de déballer. Tous les chariots proposés par l'enseigne vont trouver preneurs en moins de dix minutes. Le magasin réussit même à vendre des chariots à plusieurs milliers d'euros.

Des stocks facilement écoulés

Depuis cinq mois, les chariots mystères ou chariots surprises déferlent dans toute la France à grands coups de communication sur les réseaux sociaux. En annonçant des promos jusqu'à moins 67 %, la grande distribution réussit à écouler ses vieux invendus. Elle pioche en effet dans ses stocks d'électroménager, de jouets, d'articles de décoration ou de bricolage qui n'avaient toujours pas trouvé d'acquéreurs lorsqu'ils étaient encore placés dans les rayons.

Sur les réseaux sociaux, les vidéos de déballage de ces paquets mystères cartonnent. Ils contiennent bien souvent des objets improbables et parfois inutiles pour le client. Un homme a par exemple reçu une poussette pour jumeaux. Ces vidéos récoltent tout de même des milliers de vues.

Des produits invendus qui trouvent preneurs

Une aubaine pour la grande distribution et pour l'hypermarché à l'origine de cette opération commerciale. Ingrid Gougeon est responsable des animations d'un magasin de Dieppe (Seine-Maritime). Avec ses équipes, elle prépare sa huitième journée "Chariot Mystère". "On a déjà vendu 500 caddies pour 10.000 produits à peu près. C'est beaucoup de produits, et on a encore des produits à déstocker", explique-t-elle.

Dans l'entrepôt de l'enseigne, sont entassés des milliers de produits invendus. Certains dorment ici depuis plus de trois ans, malgré des passages en soldes et en promotions. Ce stock coûte beaucoup d'argent à l'hypermarché, entre manutention et frais de stockage. Le directeur, Jérémie Juan, perd plusieurs milliers d'euros chaque mois. Depuis l'inflation record de l'année dernière, il a beaucoup de mal à déstocker.

"On se rend compte que les soldes, ça n'a plus l'engouement que ça a pu avoir. Le Black Friday également. Donc il nous manquait une opération pour générer un peu de trafic", explique-t-il. C'est dans ce contexte qu'Ingrid Gougeon lui fait découvrir une émission américaine "dans laquelle les gens achètent des contenus de containers sans savoir ce qu'il y a à l'intérieur". "C'est parti d'une boutade, en disant : 'Tiens, on devrait faire la même chose avec des caddies.'", raconte le directeur de l'hypermarché. Une découverte qui a valu à Ingrid Gougeon l'obtention d'une prime, dont elle ne dévoilera pas le montant.

Des produits qui perdent de leur valeur

Une idée que l'enseigne a choisi de développer dans toute la France et même en Europe, car l'opération est rentable. Les hypermarchés écoulent leurs invendus et continuent à faire des marges, même si le prix de vente des produits est divisé par trois. Mais est-ce également une bonne affaire pour le consommateur, ou une simple illusion ?

Jeanne Guien, docteure en philosophie et chercheuse indépendante qui consacre ses recherches à l’histoire de la société de consommation et de l’obsolescence, parle de son côté d'une "mise en scène trompeuse". "Au moment où ces caddies vont être mis en vente, ce qu'il y a à l'intérieur ne vaut plus du tout le prix initial qui correspond au prix barré. S'ils valaient encore leur prix initial, si on avait une chance de les vendre à ce prix-là, il n'y aurait aucune démarque, croyez-moi", souligne la spécialiste. 

S'il ne trouve pas preneur, un produit perd de sa valeur avec le temps. Comme on le voit dans le reportage de "Sept à Huit", l'hypermarché souhaite par exemple glisser un appareil de thalasso pour les pieds dans l'un de ses caddies mystères. Pour fixer la promotion, il se base sur le prix de vente affiché lors de sa première mise en rayon : 64,99 euros. Il sera donc proposé à environ 21 euros dans le chariot. Toutefois, sur Internet, l'appareil est actuellement vendu à 38,49 euros, loin, donc, des 64,99 euros sur lesquels l'enseigne se base.

Et le phénomène se répète pour la majorité des produits présents dans les chariots mystères. Sept à Huit a analysé les 41 chariots à Brétigny-sur-Orge (Essonne). Parmi les objets présents dans l'un des chariots, on trouve par exemple un robot de cuisine, dont le prix annoncé par l'enseigne avant remise s'établit à 139 euros. Pourtant, le même appareil est vendu aujourd'hui chez des concurrents à 99 euros. Finalement, les 67% de réduction annoncés pour le chariot entier sont discutables. Selon les calculs de "Sept à Huit", la promotion serait de 40% minimum. Sollicitée pour réagir, l'enseigne n'a pas donné suite.

"Une mise en scène"

Ces chariots mystères restent cependant une offre promotionnelle conséquente. Mais à la différence des soldes ou du Black Friday, le client ne choisit aucun produit. Le mystère est ici la clé du succès : tous les chariots sont méticuleusement emballés d'un film plastique noir opaque. Jeanne Guien décrypte, pour Sept à Huit, ce qu'on appelle le "mystery marketing", soit l'art de nous vendre ce dont nous n'avons pas besoin. 

"On a clairement une mise en scène de cet événement comme un événement incroyable où il y aurait un lever de rideau très théâtral. Tout est fait pour donner l'impression qu'on est au bon endroit au bon moment", analyse l'experte, qui poursuit : "Les caddies en magasin vont être révélés tous au même moment, ils sont en nombre limité. Ça crée aussi une urgence d'achat, en vous disant : 'Attention, si vous n'achetez pas maintenant, quelqu'un d'autre va l'acheter'."

Jeanne Guien insiste sur le fait que "ces produits étaient déjà là depuis très longtemps, tout le monde y avait accès". "Personne n'en avait rien à faire puisque personne ne les a achetés ou très peu de personne. Donc ça donne de l'importance, de la valeur, à ces objets qui n'en ont plus", ajoute-t-elle. 


N.K | Reportage Sept à Huit Clément Fouquet

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